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Interview - rencontre avec Delphine MARTINOT, responsable scientifique du projet Disesteem

Publié le 26 juin 2019 Mis à jour le 20 août 2019

Delphine MARTINOT, professeure des universités en psychologie sociale au Lapsco (LAboratoire de Psychologie Sociale et Cognitive, UMR 6024 UCA-CNRS), est la responsable scientifique du projet Disesteem, monté avec 2 partenaires : l'Université de Tours (Psychologie des âges de la vie et adaptation), et l’Université de Moncton au Canada. Ce projet porte sur le désengagement psychologique et l’estime de soi : un cycle infernal de décrochage scolaire.

Sur quoi porte votre projet de recherche ?

Un problème de décrochage scolaire est constaté depuis fort longtemps chez les élèves, qui quittent l’école sans diplôme. C’est une préoccupation en France mais plus généralement en Europe. Le désengagement psychologique est un des éléments qui amènent un élève à stopper son cursus scolaire ; il s’agit du fait de ne plus accorder d’importance à l’école : l’élève s’en détache progressivement pour finalement considérer que l’école ne lui apportera rien personnellement. La littérature a montré que ce désengagement psychologique protège l’estime de soi : en se détachant de l’école, un élève ne sera plus affecté par les mauvaises notes, il ne se sentira pas remis en question. C’est pour cela que le projet parle d’un « cycle infernal », car quand un élève commence à avoir des difficultés scolaires, il se sent dévalorisé, donc il met en place différents mécanismes psychologiques de protection de l’estime de soi, dont le désengagement psychologique est le pire car il va amener l’élève à renoncer totalement à l’école.

Pouvez-vous nous exposer les avancées scientifiques engendrées par le projet ?

Il y a plusieurs objectifs. Le premier est plutôt axé sur la recherche fondamentale, à savoir la recherche des facteurs prédicteurs : qu’est-ce qui nous permet de mieux prédire les prémices d’un désengagement psychologique ? Ce qu’on a commencé à traiter cette année, c’est la manière dont l’élève perçoit son enseignant et comment il se sent traité, de manière juste à ses yeux ou alors en ayant le sentiment d’être défavorisé. Il y a d’autres facteurs prédicteurs prévus à l’étude, avec évidemment, l’échec scolaire lui-même, mais notre but est d’anticiper l’échec, nous cherchons donc à trouver des facteurs en amont. Nous travaillons aussi sur les conséquences, pas seulement au niveau de l’estime de soi, mais aussi les conséquences sur des aspects plus affectifs. Nos études incluent des mesures d’affect, d’émotions, pour comprendre comment ces éléments plus émotionnels peuvent aussi nuire aux performances de l’élève. En résumé, en recherche fondamentale, nous testons un modèle avec des prédicteurs qui agissent sur différents éléments psychologiques, qui eux-mêmes vont avoir un impact positif ou négatif sur la performance scolaire. Ainsi, nous essayons de comprendre comment, avant la performance, différents éléments psychologiques (estime de soi, aspects émotionnels) peuvent nuire à l’apprentissage.

Notre second axe de recherche est plus appliqué, comme toujours dans un projet ANR où il faut avoir un impact sociétal concret. Nous allons travailler sur des pistes d’action pour empêcher le désengagement psychologique dans le contexte scolaire et faire en sorte que l’élève reste intéressé et accorde toujours de l’importance à l’école.

En tant que chercheuse, que vous a apporté l'obtention de ce projet ?

Ce qui m’intéressait, c’était d’obtenir un financement pour pouvoir faire travailler une étudiante en doctorat et une étudiante en contrat post-doctoral. Cela permet de former de nouveaux chercheurs et de faire une recherche plus efficace car mon temps est malheureusement partagé entre plusieurs activités dont fait partie la recherche. On cherche des financements aussi pour former de futurs chercheurs, tout en faisant avancer la recherche, car nous-mêmes ne pouvons pas être directement dans les écoles, pour mener nos travaux.

Ce projet, c’est aussi un travail d’équipe avec des collègues clermontois donc il me permet de développer des collaborations avec eux, dont deux jeunes maîtres de conférence qui ont été recrutés il y a quatre ans. Et comme le PRC ANR implique de travailler avec des équipes d’autres établissements, je travaille actuellement avec deux collègues de l’Université de Tours qui elles, sont plutôt spécialisées sur les aspects cognitifs, comme l’apprentissage.

L'obtention de ce projet a-t-elle été une source de contraintes ? Si oui, pouvez-vous nous préciser lesquelles ?

C’est une contrainte de travail énorme, qui mobilise beaucoup d’heures. Le dossier ne comporte que quatre pages en première phase mais il faut qu’elles soient très complètes pour qu’on ait des chances d’être au deuxième tour. Puis le deuxième tour c’est vingt pages, et là aussi, c’est difficile de donner assez de précisions théoriques, méthodologiques, et sur les retombées en seulement une vingtaine de pages, tout en montrant l’ampleur du projet pour que ce dernier soit jugé assez intéressant pour mériter un financement sur trois ans.

Que conseilleriez-vous aux chercheurs et chercheuses souhaitant déposer et travailler sur ce type de projet ?

Par le passé, j’ai fait partie de comités ANR donc je connais aussi l’intérieur des comités. Il ne faut absolument négliger aucun des points d’évaluation qui sont indiqués dans les appels à projets. Comme il y a au final très peu de projets financés (une petite dizaine sur 200 au départ), il est nécessaire d’obtenir la meilleure évaluation possible sur chacun des critères. Certaines parties sont plus importantes que d’autres, comme celle portant sur le projet scientifique avec l’état de l’art théorique et la méthodologie : elle est fondamentale et si cette partie n’est pas suffisamment aboutie, le projet est directement éliminé. Il ne faut pas négliger non plus la qualité de la collaboration, les chercheurs avec lesquels on choisit de travailler, comment le budget est établi, les impacts concrets qui sont envisagés, etc.

J’encourage également les gens à déposer des ANR. Même si on ne l’obtient pas, c’est toujours formateur. Notamment pour les jeunes chercheurs, essayer de répondre à toutes les exigences d’un projet ANR est un bon exercice, même si forcément on ne gagne pas à tous les coups. Cela fait toujours avancer une réflexion, et peut permettre de progresser l’année d’après. Un projet ANR est toujours évalué par plusieurs experts qui renvoient des commentaires sur chaque rubrique, avec ce qui va et ce qui ne va pas, pour ainsi s’améliorer l’année suivante.

Le projet Disesteem est financé par l'Agence nationale de la Recherche à hauteur de 210 319€.